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Pauline Leporcq, Bénédicte Hinschberger, Bea Varnai
Le fonds rotatif pour la rénovation urbaine est un mécanisme de financement solidaire et inclusif, créé dans l’objectif d’apporter des réponses à un double défi : les revenus limités et l’exclusion bancaire des populations vulnérables des villes sénégalaises d’une part, et d’autre part le déficit d’infrastructures urbaines résilientes, d’habitat digne et d’accès aux services essentiels auquel elles sont confrontées. Cet outil de financement - porté par la FSH et son ONG d’appui technique, urbaSEN - s’inspire de la tontine, caisse d’épargne solidaire traditionnelle, dans laquelle cotise un groupe de personnes issues le plus souvent du même quartier. Les montants épargnés sont confiés à tour de rôle à chacun des membres du groupe, permettant d’améliorer l’économie familiale ou de réaliser des projets spécifiques. Le remboursement des moyens financiers mis à disposition se fait selon les modalités accordés par le groupe. En focalisant ce mécanisme sur les besoins liés à l’habitat et au cadre de vie, le fonds rotatif permet depuis 2015 aux populations vulnérables de bénéficier de prêts pour la réhabilitation de leurs logements et de co-financer des aménagements urbains. Le fonds est géré par la Fédération Sénégalaise des Habitants (FSH), réunissant des groupements d’épargne communautaire qui portent des projets de sensibilisation, de communication et de formation sur le droit au logement et à l’amélioration du cadre de vie depuis 2014. Aujourd’hui, la FSH se déploie dans toute la banlieue de Dakar, dans les régions de Thiès (2019), Louga (2019), Ziguinchor (2022) et de Fatick (2024) et réunit près de 18 000 membres.
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Le fonds rotatif autonomise les municipalités et les habitants du Sénégal, favorise la collaboration et améliore l'accès au financement pour le développement local
La commune de Djiddah Thiaroye Kao située dans la banlieue de Dakar est composée majoritairement de quartiers spontanés et abrite plus de 160 000 habitants. L’habitat y est principalement auto-construit de manière incrémentale, le plus souvent avec des matériaux de faible qualité et une absence d’encadrement de professionnels qualifiés. Étant l’une des plus densément peuplée du pays, la commune fait face à de nombreux défis sociaux, économiques et environnementaux. Le déficit d’infrastructures d’eau et d’assainissement conduit à des problèmes de santé, aggravés par de fortes inondations.
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Dans le contexte d’inondations particulièrement dévastatrices de la fin des années 2000, les habitants s’organisent pour apporter des solutions aux problématiques liées à l’habitat et au cadre de vie. Cette dynamique, appuyée par des professionnels issus de l'aménagement, la mobilisation sociale et la planification urbaine, permet d’engager le processus de restructuration urbaine de la commune, et donne naissance à la Fédération Sénégalaise des Habitants en 2014. Dès le début, une attention particulière est portée à l’accès au financement pour réaliser des aménagements, ouvrages et activités de renforcement pour les membres de la Fédération. C’est ce qui amènera à la création du fonds rotatif.
A la même période (2013), l’Etat sénégalais lance l’Acte III de la décentralisation, qui délègue aux communes la gestion, l’organisation et la planification de leurs territoires. Mais ce transfert de compétences ne s’accompagne pas des moyens nécessaires pour organiser techniquement et financièrement la structuration des services communaux. Déjà en grandes difficultés, les communes peinent à mettre en œuvre l’Acte III, et donc à offrir aux habitants des services et des infrastructures de qualité dont ils ont grandement besoin pour améliorer leur cadre de vie.
Les ressources financières des communes proviennent principalement des fonds de l’Etat (fonds d’équipement des collectivités locales, et fonds de dotation) disponibles auprès du Trésor Public. Cependant, leur gestion est collective pour l’ensemble des communes, ce qui rend très inégale l'accès aux ressources et complique le processus de décaissement des sommes préalablement budgétisées par les communes. De fait, la réactivité et la capacité d'agir des communes pour répondre aux besoins des populations locales sont limitées. Les ressources communales sont également alimentées par différentes taxes, mais ceci reste de l’ordre du résiduel et ne permet pas d’assurer une bonne gestion organisationnelle interne de la commune avec un budget prévisionnel annuel structuré et le recrutement de ressources humaines sur le long terme.
Ainsi, le développement du fonds rotatif s’inscrit dans le contexte général de précarité financière des communes sénégalaises et du difficile accès des populations vulnérables aux outils de financement traditionnels. Il démontre la pertinence d’outils de financement citoyen accessibles au plus grand nombre, pour pallier la difficulté à mobiliser des ressources publiques locales, résultat d’un cadre juridique et institutionnel inadapté aux besoins réels des autorités locales et de leurs habitants. Le fonds constitue ainsi un vecteur de collaboration entre les habitants et les communes à travers la mobilisation d'un apport financier des habitants aux projets locaux. Il contribue ainsi à légitimer leur place dans la définition et la mise en œuvre de projets d'aménagements et de quartiers.
Le fonds rotatif au Sénégal permet la réhabilitation des logements et des infrastructures par la communauté, améliorant la collaboration locale et les projets de développement cofinancés
Le mécanisme du fonds rotatif est adossé à un dispositif d’accompagnement technique qui garantit la qualité des travaux et sa bonne utilisation : des technicien.nes réalisent un diagnostic du logement/du quartier/des ouvrages à rénover et accompagnent le ménage dans le choix des artisans et le suivi des travaux à l’échelle de la parcelle et du quartier. En effet, le fonds permet de financer la réhabilitation de l’habitat, le développement d’activités génératrices de revenus (AGR) par les groupes d’habitant.es, et la co-conception et co-construction d’ouvrages semi-collectifs d’eau et d’assainissement (puisards partagés entre quelques familles, branchements AEP) et d’aménagements publics de plus grande ampleur (drains, regards, pavages drainants, bassins, tampons, espaces verts et d'infiltration des eaux de pluie, etc.)
A l’échelle de la commune de DTK qui compte plus de 100 groupements membres de la FSH, soit environ 3 000 personnes fédérées, ce dispositif a permis la réhabilitation de 408 maisons et une cinquantaine de chantiers sont encore en cours auprès de différents bénéficiaires. De plus, à l’échelle du quartier, plusieurs ouvrages ont été réalisés dans une approche de co-conception entre les différentes parties prenantes (élus, points focaux de la commune, Office National de l’Assainissement (ONAS), techniciens, habitants). Au total - 3 arrêtoirs d’eau, 6 déversoirs raccordés au réseau existant, 445 mètres de canalisation, 6 regards circulaires, un caniveau superficiel muni d’un pavage drainant raccordé au système de drainage existant - ont été réalisés. Le total du budget des travaux de 35 605 962 CFA a été cofinancé par la commune (50 %), les habitants (5 %) et subventionné par le projet (45 %). Dans tout le Sénégal, ce sont plus de 1 000 maisons qui ont été réhabilitées, et près de 300 ouvrages communautaires.
Le fonds rotatif autonomise les résidents, favorise le développement urbain participatif et inspire des initiatives similaires à travers l'Afrique de l'Ouest, renforçant la résilience et la collaboration
Les ouvrages collectifs co-conçus et co-financés par les habitant.es traduisent concrètement dans l’espace public la portée du fonds rotatif en tant qu’outil de renforcement du pouvoir d’agir des habitant.es. Grâce à leur apport financier, ces dernier.es ne sont plus seulement bénéficiaires d’infrastructures réalisées par d’autres groupes d’acteurs, mais au cœur des processus de décision qui les définissent et les produisent. Les habitants participent au dialogue territorial qui permet de faire évoluer positivement et durablement la situation locale et les conditions de vie par un meilleur niveau d’équipement. De plus, la participation financière des habitant.es motive leur contribution à la bonne gestion et à la maintenance des ouvrages. Des modalités de gestion spécifiques sont ainsi définies pour chaque type d’ouvrage, impliquant les groupes d’habitants de la zone et visant à garantir leur pérennité.
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Ces ouvrages mis en œuvre de manière participative sont le résultat d’une démarche intégrée - sociale, environnementale et financière - qui garantit leur réplicabilité à long terme. Celle-ci est accentuée par les activités de formation des artisans locaux qui sont mises en œuvre en lien avec les projets. Ces formations contribuent à une meilleure structuration du tissu économique local et à une amélioration de la qualité des ouvrages et des logements réalisés. Articulées à d’autres moyens de lutte contre les inondations (sensibilisation, messages d’information avant les pluies, réalisation d’ouvrages structurants de drainage par les acteurs publics), elles contribuent à augmenter effectivement la résilience des quartiers face au risque climatique.
Récemment, cet outil de financement a inspiré d’autres fédérations d’habitants organisées dans la sous-région ouest-africaine. Des mécanismes similaires ont été développés au Burkina Faso (2021) et en Guinée Bissau (2023) et se déclinent selon les besoins et réalités locales. Actuellement, les représentants des fédérations de ces différents pays portent la volonté de se réunir en confédération sous-régionale avec leurs voisins afin de partager des savoirs, des outils et des méthodes innovantes de construction et de financement de la ville.
Le fonds rotatif améliore les conditions de vie au Sénégal, en favorisant la finance communautaire et en favorisant la transparence entre les résidents et les autorités locales
Par l’amélioration des conditions de vie d’environ 150 000 habitants du Sénégal, et 1 milliards de francs CFA de prêts accordés depuis 2015, le fonds rotatif a démontré sa pertinence en tant qu’outil financier pour l’amélioration du cadre de vie des populations défavorisées. Le portage “habitant” de l’outil et sa reconnaissance par les autorités locales assurent une appropriation forte et une démultiplication de son envergure grâce à la sensibilisation des habitants et la formation des communes dans l’élaboration de budgets participatifs pour appuyer ces dynamiques. L’ensemble de ces innovations renforcent la transparence et la confiance entre les acteurs publics locaux et les populations. Ainsi, le fonds rotatif s’inscrit comme un outil stratégique de plaidoyer pour la reconnaissance de la finance communautaire par les acteurs publics et les bailleurs internationaux et le renforcement de l’inclusion financière des populations.