Alaa Halif
Le Maroc, longtemps un site d'extraction minérale, voit ses villes minières décliner après l'épuisement des ressources, générant une crise économique, urbaine et sociale. Jerada, ville post-minière problématique, a perdu 30 % de sa population depuis la fermeture des mines en 2000. L'article explore des outils et stratégies pour contrer cette crise et éviter que Jerada ne devienne une ville fantôme. Il préconise une vision intégrée, incluant la réutilisation des anciens chemins de fer pour désenclaver la ville, la patrimonialisation des friches minières et la reconversion des territoires post-miniers marocains, positionnant Jerada comme un laboratoire pour ces transitions.
Le Maroc était depuis longtemps un terrain d’extraction de minéraux, dont cette activité a été l’une des plus anciennes industries exercées par les populations marocaines depuis plusieurs siècles, grâce à la géographie du royaume riche en substances minérales dans de nombreuses régions, qui a donné naissance à des agglomérations urbaines qui n’existaient pas auparavant.
Le problème de ces villes se pose après l’épuisement des ressources minières, sans aucune alternative économique à la mine, ces villes mono-industrielles connaissent une chute économique, urbaine et sociale. Au Maroc, 200 mines sont fermées1 sans aucun plan de fermeture ni de réhabilitation. En conséquence, le déclin urbain de ces villes entraîne une augmentation des terres vacantes et des friches urbaines avec de nombreux dégâts multidimensionnels.
La ville de Jerada au nord-est du Maroc, est considérée aujourd’hui, comme étant le territoire post-minier le plus problématique du pays. La ville a perdu 30 % de sa population depuis la fermeture non préparée des mines du charbon en 2000, ce qui a fortement fragilisé son économie, son environnement et sa structure sociale et urbaine.
À cet effet, cet article aura pour but de s’interroger sur les outils et les stratégies possible pour pallier contre la crise qu’a connue Jerada, qui risque au futur de devenir une ville fantôme. Malgré ses potentiels matériels et immatériels, pourquoi la ville n’a pas été reconverti jusqu’à maintenant ? et est-ce que l’exemple de Jerada peut servir comme prototype/laboratoire de réflexion pour les autres territoires post-miniers qu’on trouve au Maroc ?
Le site minier le plus ancien d'Afrique du nord, aujourd’hui en déclin
Jerada est située dans la région de l’Oriental, à 60 km de la ville d’Oujda. La ville s’est développée depuis la découverte de son gisement minier en 1927, comme étant le plus ancien site industriel et minier d’Afrique du Nord2, avec l’extraction du charbon, elle couvrait plus de 30 % de l’énergie du Maroc dans les années 80.
Le problème c’est que comme toutes les villes mono-industrielles, le développement urbain et social de Jerada a été fondé essentiellement sur l’extraction des mines. Dont après l’épuisement des réserves et la fermeture non préparée des mines en 2000, la ville a connu une situation de déclin urbain et social. D’après le RJPH3, Jerada a perdu environ 30 % de sa population depuis la fermeture de la mine. Et jusqu’à aujourd’hui, la ville se vide de plus en plus de sa population.
Pourquoi le Maroc tarde face à la crise de Jerada ?
Vingt-trois ans après la fermeture de la mine de jerada, la ville vit encore dans ses dégâts qui s’aggravent une année après l’autre. Jusqu’à aujourd’hui, aucun plan de reconversion de la ville n’a vu le jour, alors que partout dans le monde on trouve des villes et des territoires post-miniers qui ont eu une deuxième vie après la mine, comme la région Nord-Pas-de-Calais en France, qui a connu une transition réussite en réutilisant et sauvegardant son héritage matériel et immatériel, transformée en un patrimoine industriel riche et diversifié, inscrit comme patrimoine de l’Unesco.
Certes, le sujet prend plus d’attention dans les pays étrangers, mais au Maroc, le déclin urbain des villes post-miniers, n’a pas encore constitué l’objet d’une vraie reconversion, et on se rend compte justement, que la problématique découle principalement du fait que le phénomène du déclin de ces villes est encore mal compris, et traité comme une simple dégradation urbaine, alors que la crise de ces villes est multidimensionnelle, et beaucoup plus complexe pour qu’elle soit réglée avec des gestes à petites échelles, alors qu’en réalité, ça nécessite toute une réflexion, urbaine économique et sociale.
Ces premiers discours sur le déclin territorial n’ont pas débouché sur une véritable inflexion des politiques publiques : les territoires concernés comme Jerada, ont simplement fait l’objet d’une ‘’mise à niveau’. Ceux-ci permettent certes d’afficher la présence de l’état, mais ils ne sont pas susceptibles de relancer des territoires
Quelle vision pour le futur de Jerada ?
Du fait que la mal compréhension de cette crise empêche que Jerada soit reconverti, la vision globale d’un projet de reconversion c’est de repenser ce territoire en crise avec toutes ses complexités, depuis le manque de connectivité entre la ville et les communautés urbaines voisines, jusqu’aux conséquences matérielles et immatérielles de la fermeture de la mine, tout en valorisant le réseau écologique interrompu et dégradé par les activités minières, et en intégrant le capital humain de la ville dans le processus de transition.
Ceci dit, le plan de reconversion ne doit pas être réduit à une simple reconversion d’une friche ou d’un quartier, non plus réduit à des gestes architecturaux comme une usine ou une mise à niveau des voies, mais il doit agir sur plusieurs échelles qui répondent aux différentes facettes et complexités du territoire, qu’on a réparties sur deux axes stratégiques :
Suturer le territoire : un réseau de mobilité régionale
Premièrement, à l’échelle territoriale, la ville de Jerada est fortement déconnectée de sa région, Il est primordial de la désenclaver et la reconnecter à son contexte régional non pas juste au niveau d’infrastructures mais en tant que zone d’intérêt pour la région de l’Oriental. Cet objectif peut être atteint grâce au réseau existant de voies ferrées abandonnées, construites en 1936, afin d’assurer la connexion avec le port de Nador, où se faisait l’export du charbon vers l’Europe. Ils sont connectés avec le reste de la région notamment avec des grandes villes comme Oujda et avec quelques villages satellites où ça se faisait le traitement du charbon.
Avec la fermeture de la mine en 2000, ce réseau des chemins de fer perd sa fonction d’origine. En conséquence, on a aujourd’hui 450 kilomètres linéaires de voies ferrées abandonnées, mais avec la situation enclavée de Jerada, et le besoin primordial d’une connexion avec les centres urbains voisins, ces chemins de fer présentent des possibilités de mobilité assez intéressantes, surtout qu’ils relient Jerada à l’aéroport Oujda Angad, et au futur grand Port West Med à Nador.
La réutilisation de ces voies ferrées abandonnées peut offrir un moyen de reconstruire le transport en commun à l’échelle régionale en créant des liaisons quotidiennes entre Jerada et sa région, ça présente un outil de désenclavement et un moyen de dynamiser la région, tout en apportant des avantages économiques pour la ville de Jerada.
2. Humaniser la ville : la patrimonialisation de l’héritage industriel minier comme outil de régénération urbaine
Deuxièmement, à l’échelle de la ville, le but majeur c’est d’adapter la ville au nombre d’habitants actuels, afin de les offrir un cadre agréable, qui va les encourager à rester et vivre en confort ; il faut donc proposer un plan de restructuration axé sur : un programme de développement économique, l’amélioration du parc de logements de la ville, des espaces publics et de la mobilité, et surtout la réhabilitation des friches de l’industrie minière, qui présentent du vrai potentiel pour la transition de la ville.
C’est une mémoire collective qui témoigne d’une période cruciale de l’Histoire du Maroc qui est en train de se perdre. Il est temps de mettre en place une stratégie d’intervention visant à réhabiliter et valoriser les espaces miniers en les considérant comme composante du patrimoine culturel national…La réhabilitation et la valorisation peut prendre plusieurs formes : préservation du cachet architectural et urbanistique, réhabilitation et valorisation des espaces en friche. Il s'agit des excavations, galeries souterraines, terrils, installations et entrepôts abandonnés. Ces espaces peuvent abriter des activités de loisirs (musée minier, équipements sportifs), des locaux administratifs ou commerciaux.
Vers une transition réussie
Comme on vient de voir, la reconversion d’un territoire post-minier, doit principalement être basé sur des stratégies urbaines à multiples échelles, et non pas sur des gestes architecturaux à petites échelles. Le système proposé se focalise sur la réutilisation, la valorisation et la patrimonialisation du territoire avec les éléments et les vestiges de l’époque minière et non pas faire table rase, et refaire la ville à zéro.
Désenclaver pour intégrer
L’intervention à l’échelle macro au niveau territorial est indispensable car l’intervention qui va suivre (à l’échelle de la ville) dépend énormément de l’intégration de la ville dans son contexte régional, et deuxièmement, parce qu’avec le cas de Jerada, c’est impossible d’avoir une reconversion réussite sans reconnecter la ville à sa région.
Si on veut se projeter dans le futur, on verra que la reconnexion du territoire avec les centres urbains voisins, grâce à la création d’un réseau de mobilité régional en réutilisant les anciens chemins de fer industriels, entrainera de nouvelles dynamiques et accessibilités à Jerada.
La construction d’un nouveau système de mobilité régionale va permettre de relier les différents pôles de Jerada aux grands centres urbains. L’objectif du nouveau réseau régional n’est pas seulement d’améliorer la mobilité, mais il est également conçu comme un outil de développement pour augmenter les opportunités des habitants, en améliorant l’accès aux emplois et aux services.
Sans oublier, qu’en se basant sur plusieurs expériences identiques, le désenclavement urbain entrainera l’augmentation des prix des terrains à Jerada, tout en attirant de nouveaux projets et investissements à la ville.
Résilience territoriale : Du macro au Micro et vice versa
La reconversion des friches minières de la ville, peut constituer la nouvelle colonne vertébrale de Jerada, cette ville qui dépendait depuis sa naissance sur la mono-industrie, sera dotée d’une programmation riche et diversifiée, les nouvelles fonctions doivent être connectées entre eux à la fois matériellement avec des voix, corridors, chemins de fer, espaces publics, et immatériellement au niveau fonctionnel dans une sorte de synergie, scénographie et économie circulaire…
Les friches existantes, due leurs tailles monumentales, et leurs structures appropriables, ont du potentiel à se transformer en des vrais équipements à impact régional ou même national (un musée national de la mine à titre d’exemple). Le désenclavement régional est étroitement lié à la reconversion de ces friches dans le sens où ça va connecter les nouveaux programmes proposés au reste de la région, en les donnant plus de valeur et de dynamismes.
De plus, il ne faut pas oublier qu’une partie des habitants de Jerada ont été adaptés au déclin pendant ces dernières années avec des coopératives qui créent des produits dérivés de l’agriculture locale. La plupart de ces produits sont exportés vers les grandes villes. Ceci dit, le désenclavement entrainera non pas juste plus de vente et d’export, mais ça peut encourager des marchés locaux au sein de Jerada, comme celui du Safran à Midelt et celui des bijoux d’argent à Tiznit, où les clients et les vendeurs de gros viennent à Jerada pour acheter ces produits de leurs sources à prix bas.
Jerada comme laboratoire des villes post-minières Marocaines
Les stratégies proposées sont basées sur la reconversion des éléments existants. Les chemins de fer industriels qui traversent la région, les cités, les terrils, et les friches sont des éléments indispensables dans chaque territoire minier, non pas juste à Jerada.
Ça nous mène à notre prochain point, on trouve plusieurs villes post minières partout au Maroc, par exemple Kettara, Ahouli, Boulanoire, Touissit et Sidi Boubker qui sont tous des villes minières marocaines qui sont dans la même situation que Jerada, un grave déclin urbain qui pose un défi multidimensionnel, économique, sociale et urbain, sans écarter le risque de se transformer en villes fantômes. Et si on propose des stratégies pour ces territoires en se basant sur l’expérience de Jerada ?
Imaginons alors une vision nationale pour les villes post miniers du pays, les stratégies inter-échelles proposées sont certes réplicables, mais ça doit être développé par rapport à chaque contexte de ces villes, à titre d’exemple, Jerada peut avoir la vocation culturelle et patrimoniale, Ahouli peut être reconvertie en l’intégrant dans des circuits touristiques déjà existant dans la région de l’atlas, Kettara peut avoir la vocation artisanale, etc.
De nos jours, où les taux d’urbanisation et de la population des villes marocaines se multiplient tout en entraînant une augmentation des villes et des métropoles. On y trouve de l’autre côté, plusieurs villes et régions qui sont confrontées à une tendance inverse, de grave décroissance urbaine.
Durant cette recherche, qui est le fruit d'un travail académique, que j’ai mené à la fois théoriquement (recherches, documentation) et pratiquement (Investigations sur le terrain, discussions avec les citoyens), je me suis rendu compte que la reconversion de ce type de sites nécessite une réflexion assez différente, dont la première problématique qui interrompt la transition de ces territoires, c’est la mal compréhension du phénomène du déclin urbain. Alors que Jerada a du vrai potentiel à réutiliser et valoriser : un patrimoine matériel et immatériel inexploité, qui peut être la clé de sa reconversion.
L’expérience de Jerada, peut fonctionner comme laboratoire d’expérimentation pour les autres villes post minières, car au-delà de ces territoires déjà en déclin, il faut aussi rappeler que dans les années à venir, plusieurs sites miniers fermeront après l’épuisement de leurs réserves. Il faut donc penser dès à présent aux stratégies de transition à élaborer, afin de faire face aux dégâts, et peut être dans une vision plus globale, est-ce qu’on peut voir un jour un programme national de reconversion de ces villes post-miniers ? avec la même vision et mobilisation qu’a eu le programme des villes nouvelles6, mais avec plus d’optimisme et de contextualité ?