
Pauline Leporcq, Olivier Moles, Aminata Baro
Le projet de structuration de la confédération des habitants en Afrique de l’Ouest est porté par les associations de la société civile ouest-africaines et les organisations communautaires de base des quartiers précaires qui veulent renforcer leur pouvoir d’agir et faire entendre leur voix au sein des instances décisionnaires à l’échelle locale, nationale et internationale. Le projet est né de la réunion des groupements communautaires en fédérations d’habitants de chaque pays de l’Afrique de l’Ouest, sur inspiration du modèle d’appui du réseau Slum Dwellers International (SDI) majoritairement présent en Afrique de l’Est et du Sud. L’objectif de la confédération est de réunir au sein d’une même organisation sous régionale les habitants, acteurs du changement pour les quartiers précaires, afin de porter un plaidoyer d’envergure. Collectivement, ils défendent une vision commune structurée autour de différents axes : l’inclusion sociale pour renforcer la solidarité entre les habitant.es des quartiers et la capacité d’agir des jeunes et des femmes, le développement économique pour appuyer des initiatives économiques d’envergure dans les quartiers, mais aussi la résilience environnementale pour soutenir un développement urbain durable et résilient aux changements climatiques.

Promouvoir le dialogue, partager des outils et responsabiliser les résidents grâce à une planification urbaine participative et à des initiatives communautaires
Selon ONU Habitat, plus de 60% de la population urbaine du continent africain, soit environ 285 millions de personnes, dont 200 millions en Afrique subsaharienne, habite des bidonvilles ou des quartiers précaires. En 2018, l’espace UEMOA comptait 123 millions d’habitants, dont 39,8 % de citadins. Selon la déclaration de Alioune Badiane, ancien Directeur Exécutif d’ONU Habitat, au forum de Bamako en février 2017, le continent africain a vu l’amélioration des conditions de vie de 24 millions d’habitants des bidonvilles. Mais les besoins restent criants et grandissants. En Afrique Subsaharienne, la proportion totale de la population urbaine vivant dans les bidonvilles n’a diminué que de 5 %, soit 17 millions d’habitants sur la même période.

Face à cette croissance démographique fulgurante dans un contexte de grande précarisation des populations urbaines, les autorités publiques ne parviennent pas à garantir l’accès au logement et à un cadre de vie décent aux populations les plus démunies. Parmi les outils dont disposent les autorités pour apporter une réponse à cette crise graduelle, figure la planification urbaine. Elle permet de mener une démarche globale dans une logique de projet urbain inclusif qui garantie l’implication de toutes les parties prenantes dans le projet d’aménagement et un cadre de vie durable où l’accès aux services de bases est garantie. Dans la pratique, la planification urbaine comme outil de fabrique de la ville est peu maîtrisée et utilisée. En réalité, les autorités publiques n’ont pas toujours les moyens financiers et l’expertise nécessaire pour mener à bien ces projets, ce qui conduit à une urbanisation anarchique, incontrôlée et à la naissance des quartiers précaires.
L’enjeu de la confédération est d’encourager un changement de la vision et de la réalité des quartiers précaires, en encourageant le dialogue entre acteurs, en développant et partageant des outils et méthodes opérationnels inspirés des réalités, des traditions et des contextes de chaque pays ouest africain, qui permettent de renforcer les compétences et les capacités des habitants et de co-planifier les quartiers précaires de manière plus justes, pour améliorer concrètement l’habitat à différentes échelles.

Parmi ces outils on peut citer les outils de collecte de données socio-économique et de vulnérabilités face au changement climatique et de cartographie par drone mis en œuvre par les habitants dans le cadre de la démarche “Know Your City” développée par le réseau Slum Dwellers International (SDI). Ils comprennent aussi les outils de financement solidaire par et pour les habitants développés sur le principe de la tontine, système d’épargne communautaire répandu dans la majorité des pays du continent africain, et dont certains sont suffisamment solides aujourd’hui pour soutenir la rénovation de l’habitat et la production de logements abordables. Enfin, les outils de gestion et d’organisation de groupements communautaires pour le renforcement global du pouvoir d’agir et les outils de formation pour la valorisation et la promotion des matériaux locaux et durables limitant l’impact environnemental dans la fabrication des villes africaines.
Promouvoir le rôle de la communauté en tant qu’expert local des données et renforcer son influence dans la prise de décision publique
L’approche portée par la confédération est basée sur la reconnaissance de l’habitant en tant qu’expert d’usage au cœur de la fabrique de la ville doté d’un pouvoir décisionnel. En tant qu’acteur clé de l’amélioration du cadre de vie, il doit être entendu et reconnu comme un maillon fondamental de la chaîne de décision dans la planification de la ville. L’habitant est une source de connaissances qu’il faut valoriser à l’aide d’un travail précis de collecte et de diffusion de données, alimentant le plaidoyer auprès des autorités locales et institutionnelles.

La collecte de données est un des plus gros défis des acteurs de l’urbanisation en Afrique de l’Ouest. En effet, il est primordial de collecter des données fines à l’échelle locale et de façon régulière qui reflètent la réalité du quotidien de l’ensemble de la population pour une planification de projets de qualité répondant aux réels besoins des populations. Or, en Afrique de l’Ouest, les acteurs institutionnels (instituts de statistiques, banques nationales, organisations internationales) constituent l’essentiel des collecteurs, détenteurs et diffuseurs de données sur l’accès au logement et aux services de base. Cependant, les données dont disposent ces acteurs restent le plus souvent analysées à une échelle trop institutionnelle pour saisir les subtilités locales et sont collectées à une faible fréquence, ce qui les rend rapidement obsolètes face aux contextes en évolution constante et rapide.
L’enjeu est donc d’accompagner la confédération à s’inscrire comme un acteur de référence en matière de collecte de données locales et contextuelles représentatives des populations des quartiers précaires. Par cette collecte encadrée et structurée, les habitants renforcent leur pouvoir d’agir et peuvent défendre leurs droits dans les instances publiques décisionnaires.
Les initiatives de renforcement des capacités de la confédération renforcent le développement urbain durable et autonomisent les habitants de toute l’Afrique de l’Ouest
Les fédérations d’habitants membres de la confédération sont chacune à un stade de renforcement de capacités différents. Le projet “Habiter et Mieux vivre dans les non lotis à Boassa”, financé par l’Agence Française de Développement et la Fondation Abbé Pierre, porté par CRAterre, urbaMonde et Yaam Solidarité, a permis, à travers une dynamique intégrée multipays, de commencer le travail d’accompagnement des fédérations au Burkina Faso, au Sénégal et en Guinée Bissau. Ce noyau dur porté par urbaSEN, Yaam Solidarité et le Grdr, a fait émerger une dynamique plus large qui donne naissance aujourd’hui aux prémices de la confédération. Cet accompagnement a permis, au travers de plusieurs activités de formation et de sensibilisation, de conscientiser les acteurs locaux à la production d’architectures raisonnées, ayant des impacts positifs sur le confort dans l’habitat, la création d’emplois locaux et la réduction du réchauffement climatique au sens large dans les 3 pays. Il a aussi permis de renforcer 2 fonds de rénovation urbaine, aussi appelé fonds rotatif et d’en créer 1 nouveau, à travers une dotation pour appuyer le financement de l’amélioration de l’habitat et du cadre de vie par et pour les habitants.

Des formations sur la cartographie par drone et la production de cartes thématiques ont aussi été réalisées. Il s’agit de faire exister ces quartiers, dont les contours sont souvent oubliés/inexistants sur les cartes dont disposent les pouvoirs publics. Et enfin, des activités de sensibilisation et communication animées par les fédérations habitantes pour la structuration des groupements membres des fédérations, la gestion de l’épargne communautaire et le renforcement du pouvoir d’agir et du plaidoyer auprès des autorités locales. L’ensemble de ces échanges pair à pair dans toute l’Afrique de l’Ouest, permettent la mise en œuvre de formations pour un renforcement des compétences horizontales-africaines par et pour les organisations de la société civile et les organisations communautaires de bases.
Pour aller plus loin, plusieurs partenariats sont actuellement en cours de signature, appuyés par le Center For Affordable Housing Finance (CAHF) et Slum Dwellers International (SDI), en partenariat avec urbaMonde et urbaSEN, vainqueur du prix mondial de l’habitat décerné par ONU Habitat en 2023. Cette convention doit permettre d’appuyer sur plusieurs années le développement des outils et méthodes cités précédemment.
Donner du pouvoir aux fédérations de résidents dans la planification urbaine offre une solution innovante aux défis du logement et du climat
L’approche portée par ces organisations démontre sa pertinence et sa valeur ajoutée depuis plusieurs années. Les défis pour le droit au logement et au cadre de vie sont grandissants et le changement climatique accentue les besoins des populations, en particulier en matière d’adaptation. C’est pourquoi, il est crucial d’encourager le dialogue entre toutes les parties prenantes afin de trouver des solutions qui favorisent une action co-portée, co-financée, et co-résiliente.
La considération de la confédération comme un acteur sérieux, pertinent et à grand potentiel est une nécessité pour aborder ces défis de façon innovantes. Les fédérations représentent une opportunité de combler les lacunes existantes dans la chaîne décisionnaire de la planification urbaine. La réelle redistribution d’une partie du pouvoir dans la fabrique de la ville à ceux qui la vivent est une solution innovante et pertinente face à ce contexte d’urgence climatique.
