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L’utilisation de l’outil numérique, pour des projets de développement plus justes en Afrique

Peter Hochet, Joyce Mavoungou

Le développement dynamique des villes africaines implique bien souvent l’expropriation de populations vivant ou travaillant dans les emprises des projets . Il existe, depuis les années 1990 plusieurs dispositifs normatifs  permettant d’assurer le droit de ces populations à des dédommagements pour leur déplacement de leurs lieux de vie et d’activités. Le recourt à ces normes implique la production et la gestion de nombreuses de données dont dépend la justesse des dédommagements. Les données à produire concernent les profils socio-économiques des personnes déplacées, leurs biens ainsi que les droits de propriété qui y sont associés. Or, en milieu urbain les niveaux de complexité de ces données rendent la détermination des dédommagements d’autant plus sensible. Parallèlement, si l’utilisation des questionnaires et de bases de données électroniques a débuté dans les pays du Nord dans les années 1980 , elle se développe largement en Afrique depuis les années 2000-2010. Nous avons vu le développement de logiciels d’élaboration et d’administration de questionnaires sur mobile, des plateformes en ligne d’agrégation des données, ainsi que des logiciels de traitement, d’analyse et de visualisation des données. Dans cet article, nous montrerons en quoi ces outils digitaux mobiles et en ligne nous aident à produire des données et à déterminer des dédommagements plus justes, en nous basant sur l’expérience d’Insuco dans deux projets de route urbaine en Afrique centrale.

Les outils numériques améliorent la précision et l'équité des indemnisations dans les projets de réinstallation urbaine en Afrique en garantissant une gestion et une analyse fiables des données.



Les villes africaines sont le terrain de multiples projets de développement et d’aménagement qui impliquent l’expropriation pour cause d’utilité publique des populations riveraines. Celles-ci sont réinstallées hors des lieux où elles vivent et/ou travaillent, de manière permanente ou pour la durée des travaux. D’après la Société Financière Internationale (SFI), « la réinstallation involontaire désigne à la fois un déplacement physique (déménagement ou perte d’un abri) et le déplacement économique (perte d’actifs ou d’accès à des actifs donnant lieu à une perte de source de revenus ou de moyens d’existence) par suite d’une acquisition de terres et/ou d’une restriction d’utilisation de terres liées au projet ». Elle est involontaire car les Personnes Affectées par le Projet (PAP) ne peuvent pas refuser l’acquisition des terres sur lesquelles elles sont installées, légalement ou illégalement. Il est donc primordial de mettre en œuvre des mesures opérationnelles permettant d’éviter, de minimiser et de dédommager les impacts négatifs de la réinstallation involontaire.


De manière générale, les politiques foncières et les procédures de l’expropriation pour cause d’utilité publique des États africains présentent des difficultés de définition et d’application. Ainsi, pour pallier celles-ci, depuis les années 1990-2000 les bailleurs internationaux ont élaboré des normes, pour encadrer la réinstallation involontaire impliquée par les projets qu’ils financent. Il s’agit des normes du groupe Banque Mondiale, et des banques régionales de développement comme la Banque Africaine de développement (BAD) , la Banque de développement des États d’Afrique de l’Ouest (BDAO ) et la Banque de développement des États d’Afrique Centrale (BDEAC).


La réinstallation involontaire est un processus complexe et sensible. Il nécessite une planification rigoureuse à partir de données de première main et d’un dialogue suivi avec les personnes affectées par le projet (PAP). On réalise ainsi des Études d’Impact Environnemental et Social (EIES) pour repérer l’ampleur et les impacts de la réinstallation. Puis, on élabore un Plan d’Action de Réinstallation (PAR) pour recenser les PAP, inventorier leurs biens, décrire leur situation socio-économique, et établir les dédommagements selon les normes internationales et la réglementation nationale.


Il y a ainsi un lien direct entre la fiabilité des données produites, la pertinence des analyses et la justesse du calcul des dédommagements . Aujourd’hui, les outils digitaux sont utilisés afin de simplifier la production, l’archivage et la gestion des données. On parle de Computer Assisted Personal Interview (CAPI) ou de Electronic Data Collection (EDC). Il s’agit d’applications sur tablettes et téléphones mobiles permettant d’appliquer des questionnaires et d’alimenter automatiquement des bases de données en ligne, permettant de gérer et traiter en temps réel les informations. En plus de la simplification de la production des informations, l’usage des outils digitaux permet de produire des données sûres et contrôlées, ainsi qu’une meilleure analyse de celles-ci, car l’archivage informatique assure une sécurisation des données collectées, moins facilement altérables que les bases de données papier. Il en découle un dédommagement plus précis et donc juste des populations réinstallées.

 

Les outils numériques simplifient les projets complexes de réinstallation en Afrique, améliorant la précision des données, l'équité des indemnisations et l'efficacité de la prise de décision.


Insuco élabore des PAR et des EIES en Afrique depuis près de 15 ans. Entre 2021 et 2023, nous avons réalisé deux PAR à Libreville (Gabon) pour deux projets de routes urbaines qui occasionnent des déplacements temporaires et définitifs pour plus d’un millier de ménages. Pour cela, nous avons eu recours aux outils digitaux. Les informations ont été enregistrées sur place et approuvées par les PAP. Toutes les données ont été gérées conformément à la Politique de Protection des Données Personnelles d'Insuco.


Pour ces deux projets nous avons recensé les PAP, inventorié leurs biens et établit leur profil socio-économique pour définir et calibrer les dédommagements et les mesures complémentaires d’accompagnement. Ce type d’enquête est toujours long et complexe, en particulier en ville, où sont combinées une diversité de types de biens et une densité importante de la population. Cela implique trois niveaux de complexité : les façons d’habiter  sont plurielles, la composition des ménages est hétérogène, les droits de propriété qui s’exercent sont multiples et superposés. Nous rencontrons ainsi très souvent sur une même parcelle d’habitation des familles élargies, plusieurs constructions, un propriétaire foncier différent du propriétaire de la maison, des locataires et des sous-locataires.


Dans ce type de cas complexes, les avantages de l’outil digital sont multiples. D’abord, à l’étape d’élaboration des questionnaires, il permet une meilleure gestion de la logique des questions et des contraintes des réponses fermées, ainsi que le calcul automatique des formules, et le contrôle de liaison entre les questions est facilité. Ensuite, sur le terrain, il n’y a plus de risque de pertes des questionnaires ou qu’ils ne soient pas reproduits en quantité suffisante. Également, la correction des réponses est aisée, et se fait directement sur le terrain avec l’interlocuteur.


La liaison entre les personnes enquêtées et leurs biens est automatisée au moyen d’un code unique généré par l’application. Ainsi, les différents statuts fonciers sont facilement liés à une même parcelle. Enfin, à l’étape de traitement, il n’y a plus de transcription manuelle des questionnaires dans les bases de données (informations collectées sur les profils des PAP et leurs biens), ce qui limite les erreurs, tandis que les logiciels de traitement permettent de nettoyer et de calculer rapidement un grand nombre de données. Par ailleurs, les risques de pertes de données sont minimisés lors de l’archivage.


Les bases de données ainsi créées rendent le nettoyage, le traitement et l’analyse des données, plus facile. En termes de résultats, le recours aux outils digitaux permet tout d’abord, de calculer au plus juste les dédommagements à délivrer aux PAP. Il permet ensuite de générer rapidement et en grande quantité toute la documentation contractuelle telles que les fiches d’inventaire et les contrats d’indemnisation est automatisée. Les corrections éventuelles peuvent se faire sur place, avec les personnes affectées par le projet (PAP). Enfin, les enquêtes digitales facilitent la décision et le suivi grâce à l’utilisation de plusieurs logiciels spécialisés permettant la mise en place d’un Système d’Information Géographique (SIG), l’établissement d’analyses complexes, et l’élaboration des modes de visualisation innovants.


Les outils de sondage numérique assurent une indemnisation plus équitable pour les personnes réinstallées et renforcent la capacité institutionnelle dans les processus de réinstallation urbaine.

La solution numérique d’administration des enquêtes dans le cadre des processus de réinstallation physique et économique en milieu urbain a un impact positif sur le plan social. En simplifiant la gestion des données socio-économiques et des biens des PAP ainsi qu’en les sécurisant, les dédommagements à mettre en œuvre sont calculés de manière fiable sur la base de données collectées et validées publiquement. Les PAP sont assurées de recevoir des compensations à hauteur de la valeur des biens impactés, les risques de fraudes ou de sous-paiement sont limités. En effet, quand les bases de données ne sont pas informatisées, il est plus facile de modifier les montants évalués d’un bien ou de se tromper dans l’affectation d’une évaluation et d’un niveau d’indemnisation pour un bien. 


Parcelle du projet et identification des parcelles impactées 2022 Insuco
Parcelle du projet et identification des parcelles impactées 2022 Insuco

Du point de vue institutionnel, la mise en œuvre des Plan d’action de réinstallation et les enquêtes d’inventaires intègrent généralement des volets de renforcement des capacités. Ainsi, le personnel des ministères et des agences publiques peut être formé à l’utilisation des outils digitaux d’enquêtes, à la gestion de base de données, et au traitement des données. D’autre part, la multiplication des applications et des solutions en ligne, permet le développement de la maîtrise des outils technologiques chez les enquêteurs créant ainsi un pool de personnes de plus en plus expérimentées dans le domaine.

 

Les outils numériques dans les projets urbains garantissent une indemnisation équitable et renforcent la capacité technologique locale, assurant ainsi l'acceptation sociale.


Le potentiel de la technologie numérique pour la transformation urbaine en Afrique se révèle ainsi dans la réinstallation des populations due à des projets de développement. Depuis une vingtaine d’années, le recours au CAPI se diffuse dans l’élaboration et l’administration de questionnaires d’enquêtes et d’inventaires des biens. Malgré quelques limites comme la nécessité d’une connexion internet stable et les réticences éventuelles de certains enquêtés, l’utilisation des outils digitaux permet de sécuriser les données et ainsi d’assurer des dédommagements justes des personnes affectées par les projets.  Elle permet aussi de développer les compétences locales en matière de technologie et traitement de données, d’accélérer la mise en œuvre de dédommagements justes, et en conséquence d’assurer la légitimité et l’adhésion sociale à des projets urbains d’ampleur.


Prise en photo de la carte nationale d’identité d’un PAP lors des enquêtes sociales à
Kinshasa 2024 par BienvenuMuchukiwa
Prise en photo de la carte nationale d’identité d’un PAP lors des enquêtes sociales à

Kinshasa 2024 par BienvenuMuchukiwa

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