
Odyssées d’Architectures (Agathe Belot & Mathieu Jaumain)
Cet article met en lumière la puissance de la ventilation naturelle comme solution low-tech pour lutter contre la surchauffe des bâtiments, alternative aux climatiseurs énergivores et mal intégrés. Historiquement utilisée dans les médinas du Moyen-Orient et adaptée par le modernisme tropical africain, cette méthode exploite des ouvertures stratégiques pour favoriser le renouvellement de l’air et évacuer la chaleur. Des projets contemporains, tels que celui en Tanzanie, démontrent également son efficacité en réduisant significativement la présence de moustiques et le coût de construction. La ventilation naturelle, simple à mettre en œuvre, offre ainsi une réponse durable et économique aux défis climatiques.

De plus en plus de machines contrôlent la température de nos bâtiments et pourtant certains systèmes low-tech sont redoutables pour lutter contre la surchauffe ! La ventilation naturelle est l’un d’eux et mériterait d’être généralisée. Les climatiseurs sont devenus une réponse trop facile à de mauvaises conceptions architecturales. En plus d’être esthétiquement difficiles à intégrer, ils sont très énergivores. Leur popularité est paradoxale puisqu’il est aujourd’hui aisément possible de s’en passer avec une ventilation naturelle.
Cette dernière est utilisée depuis des siècles. Elle remonte à la construction des premières villes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Le principe en est relativement simple : sur les faces les moins exposées au soleil se trouvent de larges ouvertures alors que sur celles qui sont les plus exposées, de petites fenêtres sont placées en hauteur. L’air chaud ayant une densité (et donc un poids) plus faible que l’air froid, monte naturellement, s’évacue par la petite ouverture et crée ainsi un courant d’air permanent. Dans la médina de Marrakech il est encore possible de visiter une partie de l’une des premières universités au monde, la Merdersa Ben Youssef, datant du XIIIe siècle, où un bassin d’eau au milieu du grand patio permet de créer un effet venturi et de rafraîchir de quelques degrés la température. C’était le lieu de prédilection des étudiants pour réviser.

La ventilation naturelle a aussi été au centre d’un mouvement architectural né dans les villes africaines pendant la colonisation : le modernisme tropical. Les colons s’établissant sur le continent voulaient construire des édifices copiant ceux qu’ils connaissaient en Europe avec des styles et des matériaux identiques. Mais les architectes se sont rapidement rendu compte qu’il fallait adapter leurs habitudes constructives pour réaliser des bâtiments confortables dans de telles températures. De 1942 à 1960 Edwin Maxwell Fry et Jane Beverly Drew imaginèrent ainsi de nombreux édifices au Ghana et au Nigéria alliant style moderniste et ventilation naturelle. La plupart de leurs constructions sont encore utilisées actuellement telles qu’elles ont été pensées.
Si Francis Kere, vainqueur du Pritzker Prize en 2022, est connu pour ses conceptions low-tech dans des villages reculés d’Afrique, d’autres architectes utilisent aussi la ventilation naturelle. Ainsi, le travail de John McAslan + Partners a permis de diminuer de 3 degrés la température dans les classes de plusieurs villages au nord du Malawi en utilisant des matériaux disponibles localement et avec un design simple pour pouvoir être mis en œuvre facilement par les villageois. On pourrait encore citer le projet de Insitu Architectes au Sénégal qui s’inspire du fonctionnement de la termitière pour ventiler l’église de Nianing, ou encore les projets de Mick Pearce au Zimbabwe comme le Eastgate Center et le Temple Indu de Harare datant des années 1990.


En plus de diminuer la température dans les bâtiments, les courants d’air permettent de chasser les moustiques. Alors pourquoi ne pas remplacer nos vitrages par des moustiquaires ? C’est l’idée qu’Ingvartsen Architects a développée pour The Star Homes Project. Dans plus de 50 villages au sud de la Tanzanie, un modèle de maison est répliqué et monitoré pour tester son efficacité à différents emplacements dans une même région. Après bientôt un an, les résultats sont déjà impressionnants. En construisant de manière compacte, mais avec un étage (chose rare dans cette région), la cuisine au rez-de-chaussée et les chambres au-dessus, et en recouvrant plus de la moitié de la façade par des moustiquaires, la diminution du nombre de moustiques est estimée à plus de 80% par rapport aux maisons traditionnelles. Des résultats très encourageants dans la difficile lutte du pays contre la propagation de la malaria. L’ambition d’Ingvartsen Architects est d’ensuite proposer ce modèle au gouvernement en tant que logement social, car en plus, son coût de construction est très faible.
Alliée à des protections solaires ou à un petit bassin d’eau ou encore à des matériaux naturellement isolants, comme la terre, la ventilation naturelle est redoutablement efficace et même indispensable pour diminuer la température à l’intérieur des édifices. Outre ses qualités thermiques, elle permet de chasser l’air vicié et de réduire la présence de moustiques en assurant un renouvellement constant de l’air dans les espaces.
C’est une stratégie qui peut s’appliquer partout, avec n’importe quel matériau de construction, dans tous types de bâtiments, mais surtout à un très faible coût, en plus d’être facile à mettre en œuvre. Sa seule exigence est d’être considérée en amont de la construction pour qu’elle soit optimale et judicieusement intégrée aux besoins des utilisateurs.